InPACT était présent au salon de l'agriculture paysanne et durable du Pays Basque qui se tenait exceptionnellement à Arbonne le 24 octobre
LURRAMA, La ferme Pays Basque, est un salon conçu par l'association Euskal Herriko Laborantza Ganbara* (EHLG) pour promouvoir l'agriculture paysanne et durable, respectueuse des hommes et de la nature.
Une 16ème édition spéciale
Pour sa 16ème édition, Lurrama proposait une réflexion autour de la thématique « Notre terre, notre alimentation ». Depuis toujours, la terre est au cœur des sujets de prédilection de Lurrama, car elle est un élément fondamental du métier de paysan, c’est l’outil de travail qui permet de nourrir la population, et à ce titre nous devons la préserver.
La mobilisation initiée par ELB** et Lurzaindia*** depuis le 23 juin sur les terres d'Arbonne, les a particulièrement touchés. La situation sanitaire ne leur permettant toujours pas d’organiser le Lurrama tel que nous le connaissons depuis 15 ans (à la Halle d'Iraty de Biarritz sur plusieurs jours), ils ont décidé de se joindre à leur lutte contre la spéculation et l’accaparement des terres agricoles, et de délocaliser le salon sur les 15 hectares de terre occupées. Un geste fort, et politique.
6 000 personnes sont venues festoyer : paysans, bénévoles, familles, habitués, nouveaux visiteurs, militants. Nous étions nombreux à assister au débat, dont des élus locaux, et notamment Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne et président de la Communauté d'Agglomération Pays Basque. Cette journée marquait la fin de l’occupation des terres d’Arbonne (que s'est-il passé à Arbonne ? consultez l'article Reporterre)
Quelle politique foncière et alimentaire pour le Pays Basque ?
Les terres d’Arbonne symbolisent parfaitement la conférence organisée qui posait la question : Quelle politique foncière et alimentaire pour le Pays Basque ? Après le discours d'inauguration, EHLG nous a présenté une étude réalisée en 2019-2020 basée sur le scénario Afterres 2050. L'idée n'est pas d'aller de la fourche à la fourchette mais de partir de l'assiette et d'aller jusqu'à la terre, "de nos estomacs vers les champs", pour comprendre l'impact foncier de notre alimentation.
Quelles évolutions démographiques sont à prévoir d'ici 2050 ? De quelles surfaces agricoles avons-nous besoin pour nourrir la population du pays basque ? Notre régime alimentaire est-il adapté ? De quels systèmes de production avons-nous besoin ?
Le contexte est compliqué :
- la Safer estime que chaque année au pays basque nous perdons 650 hectares de terres agricoles dont 230 ha liés à l'artificialisation (les autres causes principales sont l'enfrichement et l'accaparement pour usage de loisirs). Les terres restantes sont sous pression du fait de la concurrence des usages et de la spéculation foncière
- la population de la région augmente (population permanente et touristique), quand la population paysanne diminue : une part importante de paysan.nes ont + de 55 ans, et une partie des fermes à reprendre n'ont pas de perspectives de reprise (en Nouvelle Aquitaine le ratio est d'une installation pour deux départs)
Si la terre entière s'alimentait comme les occidentaux, une seule planète ne suffirait pas. Il nous faut changer notre régime alimentaire, qualitativement et quantitativement : remplacer une partie des protéines animales par des protéines végétales, réduire la taille de nos assiettes, produire des aliments plus sains. 3 paramètres sont identifiés : le nombre de personne sur le territoire, la qualité de l'assiette, et le mode de production. 1/2 ha par personne est nécessaire dans le régime d'aujourd'hui quand nous n'aurions besoin que d'1/3 ha avec un nouveau régime. Mais produire ce nouveau régime alimentaire nécessite de nouveaux systèmes de production. Or, tous les systèmes de production n'utilisent pas la terre de la même façon. Les modèles de production plus durables, extensifs, en agroécologie, ont un rendement souvent moindre ce qui nécessite plus de surface agricole.
Aujourd'hui, le pays basque manque de terres. Ce territoire est déficitaire en production de fruits, légumes, céréales, oléagineux. Le déficit est énorme à l'heure où nous parlons de plus en plus de souveraineté alimentaire. La crise du Covid et ses confinements nous ont rappelé à nos fondamentaux. Mais pour augmenter la production locale, nous avons besoin de paysans, or nous en manquons. On en compte 6 000 aujourd'hui quand nous aurions besoin de 8 000 en 2050.
L'exercice ici ne consistait pas à explorer l'ensemble des futurs possibles. L'étude n'a duré que 6 mois. Elle est partielle et nécessite d'être poursuivie, retravaillé, approfondit. La modélisation du modèle agricole est complexe. Mais ce premier diagnostic voulait identifier au moins un chemin conduisant à un futur souhaité.
"La somme des libertés individuelles n'a jamais fait un intérêt commun"
Les politiques publiques (européennes, hexagonales et locales) ne sont pas adaptées. Il est urgent de se poser les questions essentielles. Quel niveau d'autonomie alimentaire avons-nous besoin ? La terre a un potentiel limité, elle devient une ressource rare, sur laquelle les agriculteurs ne sont plus prioritaires. L'alimentation qu'ils produisent est pourtant un besoin primaire. Quel projet agricole souhaitons-nous ? Quel est le rôle du paysan dans notre société ?
La terre est un bien commun et les logiques de marchés et de privatisation atteignent leurs limites. Il nous faut protéger les terres agricoles et notamment celles qui entourent les villes (qui sont de meilleure qualité). Les enjeux structurels nécessitent une réflexion commune et conjointe entre élu.es, paysan.nes, citoyen.nes. Des outils d'aménagement du territoire sont nécessaires. Certains se développements, tels que les PAT (Plan Alimentaire Territorial), PCAET (Plan Climat-Air-Energie Territorial), mais ils nécessitent de vrais moyens, et il nous faut aller encore plus loin. Nous avons besoin d'un scénario AFTERRES 2050 "+" pour l'émergence d'une vision prospective partagée sur le territoire
Les paysan.nes ont besoin d'être accompagné.es et valorisé.es. Les solutions existent, d'autres sont à inventer, encore faut-il accepter de sortir de nos habitudes, de revenir sur les fondamentaux, de questionner nos pratiques, d'oser faire autrement.
Conférence de Patxi Iriart et Francis Poineau (EHLG)
* Euskal Herriko Laborantza Ganbara est une association loi 1901 de développement agricole et rural, créée le 15 janvier 2005. Elle a pour objet de contribuer au développement d’une agriculture paysanne et durable ainsi qu’à la préservation du patrimoine rural et paysan, dans le cadre d’un développement local concerté sur le territoire Pays Basque. Pour en savoir +, consulter leur site internet : https://ehlgbai.org/
** ELB : Syndicat pour la défense des paysans du Pays Basque et la promotion d'une agriculture de qualité. Affilié à la Confédération paysanne.
*** Lurzaindia poursuit l’objectif que la Terre nourricière devienne un bien collectif permettant le maintien ou l’installation de fermiers en agriculture paysanne.
Pour y parvenir elle s’est dotée de trois outils : une association, une foncière, un fond de dotation. Pour en savoir +, consulter leur site internet : https://lurzaindia.eu/